Les Essais De Montaigne (fransizca)

                      Les Essais de Montaigne

Sur la connaisance de soi

[Contre ces gens "qui n’ignorent rien, qui gouvernent le monde, qui sçavent tout"]
"Tout philosophe ignore ce que faict son voisin, ouy et ce qu’il faict luy-mesme, et ignore ce qu’ils sont tous deux, ou bestes ou hommes." Essais, II, XII.

Sur les guerres de religion

"Je doubte souvent si, entre tant de gens qui se meslent de telle besoigne [la violence religieuse], nul s’est rencontré d’entendement si imbecille, à qui on aye en bon escient persuadé qu’il alloit vers la reformation par la derniere des difformations, qu’il tiroit vers son salut par les plus expresses causes que nous ayons de très certaine damnation, que, renversant la police, le magistrat et les loix en la tutelle desquelles Dieu l’a colloquée, desmembrant sa mere et en donnant à ronger les pieces à ses anciens ennemis, remplissant des haines parricides les courages fraternels, appelant à son ayde les diables et les furies, il puisse apporter secours à la sacro-saincte douceur et justice de la parole divine. L’ambition, l’avarice, la cruauté, la vengeance n’ont point assez de propre et naturelle impetuosité; amorchons les et les attisons par le glorieux titre de justice et devotion. Il ne se peut imaginer un pire visage des choses qu’où la meschanceté vient à estre legitime, et prendre, avec le congé du magistrat, le manteau de la vertu. "Nihil in speciem fallacius quam prava relligio, ubi deorum numen praetenditur sceleribus" [Rien n’est plus trompeur que la superstition, couvrant ses crimes de l’intérêt des dieux. Tite Live, XXXIX, 16]. L’extreme espece d’injustice, selon Platon, c’est que ce qui est injuste soit tenu pour juste." Essais, III, XII.

Sur la tempérance

"Pour moy donc, j’ayme la vie […]. Il prise [Socrate], comme il doit, la volupté corporelle, mais il prefere celle de l’esprit, comme ayant plus de force, de constance, de facilité, de varieté, de dignité. Cette cy va nullement seule selon lui (il n’est pas si fantastique), mais seulement premiere. Pour luy, la tempérance est moderatrice, non adversaire des voluptez." Essais, III, XIII.

"Ny entendent les Stoïciens que l’ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantaisies qui luy surviennent, ains comme à une subjection naturelle consentent qu’il cede au grand bruit du ciel, ou d’une ruine, pour exemple, jusques à la palleur et contraction. Ainsin aux autres passions, pourveu que son opinion demeure sauve et entiere et que l’assiette de son discours n’en souffre atteinte ny alteration quelconque et qu’il ne preste nul consentement à son effroi et souffrance. […] Le sage ne s’exempte pas des perturbations, mais il les modere." Essais I, XIII.

Sur l’égalité d’âme ou équanimité

Il y a une autre vertu [que la vaillance militaire] "vraye, perfecte et philosophique" qui est
"une force et asseurance de l’ame, mesprisant également toute sorte d’accidens enemis:
equable, uniforme et constante, de laquelle la nostre n’est qu’un bien petit rayon."
Des récompenses d’honneur, chapitre VII du livre II des Essais.

Sur le vrai et le faux savoir

"Cet homme que j’avoy, estoit homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre veritable tesmoignage; car les fines gens remarquent bien plus curieusement et plus de choses, mais ils les glosent; et, pour faire valoir leur interpretation et la persuader, ils ne se peuvent garder d’alterer un peu l’Histoire; ils ne vous representent jamais les choses pures, ils les inclinent et masquent selon le visage qu’ils leur ont veu; et, pour donner credit à leur jugement et vous y attirer, prestent volontiers de ce costé là à la matiere, l’alongent et l’amplifient. Ou il faut un homme très-fidelle, ou si simple qu’il n’ait pas dequoy bastir et donner de la vray-semblance à des inventions fauces, et qui n’ait rien espousé. Le mien estoit tel; et, outre cela, il m’a faict voir à diverses fois plusieurs matelots et marchans qu’il avoit cogneuz en ce voyage. Ainsi je me contente de cette information, sans m’enquerir de ce que les cosmographes en disent.
Il nous faudroit des topographes qui nous fissent narration particuliere des endroits où ils ont esté. Mais, pour avoir cet avantage sur nous d’avoir veu la Palestine, ils veulent jouir de ce privilege de nous conter nouvelles de tout le demeurant du monde. Je voudroy que chacun escrivit ce qu’il sçait, et autant qu’il en sçait, non en cela seulement, mais en tous autres subjects : car tel peut avoir quelque particuliere science ou experience de la nature d’une riviere ou d’une fontaine, qui ne sçait au reste que ce que chacun sçait. Il entreprendra toutes-fois, pour faire courir ce petit lopin, d’escrire toute la physique. De ce vice sourdent plusieurs grandes incommoditez." Essais, I, chapitre XXXI.

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