j. j. Rousseau

La vie de Rousseau nous est connue, notamment grâce à une abondante œuvre autobiographique, dont l’ouvrage le plus célèbre reste les Confessions. Commencées en 1664, elles ont pour ambition de donner une image vraie de leur auteur, et par là de le défendre contre des accusateurs qu’il voit toujours plus nombreux. Avant de revenir sur les enjeux de cette entreprise "qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur" selon Rousse au, observons le parcours biographique qu’elle retrace.
On peut distinguer dans les Confessions quatre périodes séparées par des ruptures marquées :

1712-1728 : livre I. C’est la période de l’enfance heureuse et des premières déceptions. Rousseau naît le 28 juin 1712 à Genève, république calviniste. "Ma naissance fut le premier de mes malheurs", dit-il : sa mère meurt en lui donnant le jour. Le petit Jean-Jacques est successivement confié par son père, modeste horloger, à son oncle, au pasteur Lambercier, à un greffier que ne satisfait pas le jeune apprenti, et à un graveur brutal et injuste. Rousseau a vécu cette période comme une dégradation progressive, au cours de laquelle son innocence et sa pureté originelles sont mises à mal. L’enfant sensible et aimant apprend, à force de mauvais traitements, à se révolter, à mentir et à voler. Cette période s’achève brutalement par la fuite de Genève le 14 mars 1728.

Les années 1728-1749 (des livres II à VII inclus) constituent  une période de formation et de gestation pour Rousseau. De 16 à 37 ans. Seul et sans ressources après sa fuite, il est recueilli par Madame de Warrens, qui l’envoie à Turin se convertir au catholicisme et se faire baptiser. Cette conversion, sur laquelle il reviendra par la suite, est vécue par Rousseau comme un traumatisme, et le portrait des catéchumènes et de leur entourage n’est guère flatteur pour la religion dominante. Après quelques péripéties, il reste au service de Madame de Warrens, qui devient sa protectrice et se charge de son instruction, bien négligée jusqu’à ce moment. "Petit" et "Maman", comme ils se nomment affectueusement l’un l’autre, vivent alors des moments idylliques aux Charmettes. Cependant la maladie oblige Rousseau à s’éloigner, et le goût des voyages qui le tient depuis toujours lui fait prolonger l’aventure. À son retour auprès de Madame de Warrens, il se rend compte avec la plus grande amertume qu’il a été détrôné dans le cœur de son idole. Il quitte alors sa protectrice. Sa passion pour la musique lui fait concevoir un système de notation entièrement nouveau, qui pourtant ne reçoit pas le soutien de l’Académie des sciences. Après un début de carrière diplomatique peu en accord avec son caractère, Rousseau se met en ménage avec Thérèse Levasseur, modeste servante d’auberge, rencontrée en 1745. Les cinq enfants qu’elle lui donne sont confiés aux Enfants-Trouvés, l’Assistance publique de l’époque. L’auteur de l’Emile allèguera plus tard l’impossibilité où il se trouvait alors de les élever correctement, mais cette série d’abandon fournira des armes acérées à ses ennemis, pour qui un bonpédagogue doit être aussi un père exemplaire.À cette époque, Rousseau se lie au milieu des philosophes et collabore à l’Encyclopédie par des articles consacrés à la musique. Il apporte son soutien à Diderot, emprisonné à la suite de la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient en 1749. Sur le chemin qui mène à la prison de son ami, se produit "l’illumination de Vincennes", qui va décider de ses œuvres majeures, de l’orientation de sa pensée et de son originalité. C’est à ce moment précis qu’il conçoit en effet l’idée du Discours sur les sciences et les arts, qui lui vaut le premier prix d’unconcours proposé par l’académie de Dijon : "Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs."

1749-1762 : des livres VIII à XI. Connu comme penseur et non comme musicien, Rousseau compose ses œuvres majeures. Cette période s’ouvre sur la "querelle des bouffons", qui oppose les partisans de la musique française et italienne, et qui se ferme sur la condamnation de l’Emile. Son premier discours propose la thèse selon laquelle l’homme est bon par nature ; c’est la société qui, en l’éloignant de ses vertus primitives, le corrompt et le dénature. Le progrès, tant vanté par les penseurs de son époque, est selon lui un mirage qui apporte plus de maux que de bienfaits. Voltaire couvre alors Rousseau de sarcasmes, et affecte de voir en lui un rétrograde dont les pensées lui donnent envie "de marcher à quatre pattes". Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes confirme les thèses de l’un et la désapprobation de l’autre. En 1758, Rousseau se brouille avec d’Alembert à propos de l’article "Genève" de l’Encyclopédie, auquel il répond par la Lettre à d’Alembert sur les spectacles : au centre de cette brouille, la condamnation par Rousseau du théâtre, et le soutien qu’il apporte aux autorités de Genève qui interdisent ce type de spectacles dans leur ville. Rousseau est de plus en plus seul et contesté, même Diderot l’abandonne. En 1761, son roman, La Nouvelle Héloïse, remporte un grand succès auprès du public, mais reçoit la condamnation des autorités genevoises. Le Contrat Social et l’Emile sont eux interdits par le Parlement de Paris en 1762. Menacé, Rousseau doit fuir et se réfugie à Môtiers.

1762-1778 : les dernières années, marquées par la solitude et l’isolement. Rousseau se sent persécuté, par le "complot" qu’il croit être fomenté contre lui à l’instigation de Grimm, Voltaire et d’Holbach. Il faut dire, pour justifier au moins en partie cette paranoïa, que les attaques contre lui se multiplient de tous côtés avec une violence déconcertante. Par exemple, ses concitoyens, auprès desquels il pensait trouver refuge, brûlent publiquement ses livres. En 1764, un violent pamphlet de Voltaire, " le sentiment des citoyens", attise contre lui la vindicte populaire, et sa maison de Môtiers est lapidée. Cette époque est celle de l’autobiographie : Les Confessions (commencées en 66), les Dialogues (1772-75, justification agressive), et enfin les Rêveries du promeneur solitaire (commencées en 76). Seul et malade, revenu à Paris, Rousseau entreprend de se raconter et de se justifier. Il trouve quelque consolation dans la rêverie et dans l’herborisation. Il meurt le 2 juillet 1778, laissant sa dernière œuvre inachevée.

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